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Harpist : Marie-Claire Jamet

 - Catégories :  #Harpistes

Entretien avec Marie-Claire Jamet
Article extrait du HarpBlog Camac
 

Marie-Claire Jamet
Marie-Claire n’est pas seulement une artiste exceptionnelle, elle fait aussi partie d’une des plus grandes lignées de l’histoire de la harpe. Son père, Pierre Jamet (1893-1991) commença ses études par la harpe chromatique développée par Pleyel et Wolff à Paris à la fin du dix-neuvième siècle. Pleyel commanda les Danses de Debussy afin de mettre cet instrument en lumière et de susciter suffisamment d’intérêt pour faire ouvrir une classe de harpe chromatique au Conservatoire de Paris. Pleyel recherchait aussi de jeunes musiciens pour promouvoir son instrument et a pris en charge pendant quelques temps les frais d’inscription de Pierre Jamet, ainsi que l’achat de ses livres et partitions. Cependant, en 1905, Alphonse Hasselmans a entendu Pierre Jamet jouer lors des examens du Conservatoire de Paris. Impressionné, il l’a poussé à abandonner la harpe chromatique, dont il sentait qu’elle serait bientôt obsolète. Pierre Jamet rejoignit alors la classe de harpe double-mouvement (Erard) de Hasselmans. Cette classe a d’ailleurs formé un nombre impressionnant de futurs grands maîtres, notamment Henriette Renié, Marcel Grandjany, Carlos Salzedo, Marcel Tournier, Lily Laskine et Pierre Jamet lui-même. D’ailleurs, en plus d’être la fille de Pierre Jamet, Marie-Claire fut également la dernière élève de Marcel Tournier.

Comme ces illustres élèves de Hasselmans furent des professeurs impliqués et énergiques, ils ont été à l’origine non seulement du développement exceptionnel de la harpe au vingtième siècle en France, mais également de sa large diffusion internationale. Pierre Jamet, par exemple, a fondé la mondialement célèbre académie d’été de Gargilesse, qui porte désormais le nom de « Académie Internationale de Harpe Pierre Jamet ». Il a créé l’Association Française de la Harpe, et en 1959, au cours du Premier Concours d’Israël, il a fait un discours incitant les harpistes à former une société internationale. Cette étincelle a déclenché la création des « Dutch Harps Weeks » sous l’impulsion de Phia Berghout, de l’ « American Harp Society », et, par la suite, du « Congrès Mondial de la Harpe ».

La « génération Hasselmans » de harpistes français a profondément influencé notre façon actuelle de jouer de la harpe à pédales. « Je pense que le fait que mon père était à la fois pédagogue, chambriste, et musicien à l’Opéra de Paris, lui a donné un esprit bien plus ouvert que s’il n’avait été que soliste », explique Marie-Claire. « Tous ses élèves ont suivi des carrières semblables à la sienne, moi y compris ! ». Au cours de sa carrière, Marie-Claire a, entre autres, été Harpiste Principale de l’Orchestre de Radio France, membre de l’Ensemble Intercontemporain de Pierre Boulez pendant 15 ans, professeur aux Conservatoires Supérieurs de Musique de Lyon et de Paris, et elle a donné plus de deux mille concerts à travers le monde. Elle continue consciencieusement à transmettre l’héritage de son père, non seulement au travers de son parcours professionnel, mais également dans les détails musicaux qu’elle transmet. « Mon père avait énormément d’informations concernant les œuvres maîtresses de notre répertoire, informations qu’il tenait des compositeurs eux-mêmes », explique-t-elle. « Il est important qu’elles ne tombent pas dans l’oubli. Par exemple il est imprimé tempo di minuetto, mais Debussy voulait un menuet grave et lent. Ce sont les paroles qu’il a dites à mon père et qui ne sont pas indiquées dans l’édition. Cela change tout une fois que vous le savez. ». Ou bien, dans le final de cette même Sonate, Debussy imaginait au début un homme jouant du tambourin. Mon père a donc inventé une technique pour obtenir un effet percussif à cet endroit. Et à propos de l’éternel débat concernant la façon de jouer les accords au début des Danses de Debussy, Debussy ne voulait pas que ces accords soient plaqués, ni arpégés, mais quelque chose entre les deux, ce qui peut être parfois très difficile à saisir. Mon père passait parfois plus d’une heure avec ses élèves avant qu’ils ne comprennent !

Il est essentiel qu’un musicien respecte le texte. C’est la base. Si vous ne respectez pas le texte, vous pouvez tout aussi bien n’en avoir rien à faire. Autant que possible, en tant que musiciens, nous avons le devoir de garder en mémoire les souhaits des compositeurs, et de nous servir de l’histoire pour instruire le présent.

De la même façon, respecter le texte ne signifie pas cloner quelque chose. Comme tous les musiciens, je me rappelle parfaitement LE moment de ma carrière qui a été le plus stressant pour moi. Il ne s’agit ni d’un concours, ni d’une audition. Il s’agissait de jouer, en face à face, pour Luciano Berio. Cela s’est passé pendant que j’étais à L’Ensemble Intercontemporain, nous avions la Sequenza au programme et il se trouvait que je n’avais jamais joué cette pièce. Au début, Berio insistait pour que Francis Pierre, qui en avait donné la première mondiale, la joue. Mais Boulez a répondu que ce concert réunissait les solistes de son Ensemble, et que Berio devait au moins me donner une chance. « Ok », a dit Berio, « mais je veux l’entendre jouer d’abord. »

Je ne pouvais pas faire comme Francis Pierre. Mon son est différent, et mes ongles sont différents – il a des ongles très durs, qu’il a utilisé pour obtenir un effet particulier pour cette première. Je savais qu’il n’y avait pour moi aucun espoir de faire ce qu’il avait fait, je n’y pouvais rien… si ce n’est présenter ma propre interprétation. Le stress ! J’étais absolument terrifiée !

A la fin, Berio dit « Mais c’est très bien ! ». « Mais » répondis-je en balbutiant, « Francis Pierre ne l’avait pas du tout joué comme ça ». « Cela ne fait rien ! », dit-il. « Son interprétation est formidable, et la vôtre aussi ! ». Les interprètes réinventent. Vous devez respecter le texte, et y ajouter votre touche personnelle.

C’est pareil dans l’enseignement. Je ne peux pas dire que j’ai une pédagogie spécifique, car chaque élève est différent. En fait, la formation musicale aujourd’hui prend davantage en compte ces différences. Quand j’ai commencé, les examens du Conservatoire étaient globalement plus faciles. On jouait dix minutes et c’était tout. Mais, si vous faisiez une seule faute, vous étiez rejeté immédiatement. De nos jours, les étudiants doivent préparer un récital d’au moins 45 minutes. C’est plus exigeant mais cela permet de juger les étudiants de façon plus juste. S’ils se trompent dans un morceau, ils ont une chance de se rattraper dans les autres pièces. Ils peuvent également choisir la musique qui met en valeur leurs propres points forts. Je pense que ce système est nettement meilleur.

Quand j’ai obtenu mon 1er prix de harpe au C.N.S.M. à 14 ans je voulais me remettre au piano en vue d’entrer dans la classe de Jean Doyen mais il m’a fait comprendre que je devais abandonner la harpe pendant plusieurs années, les harpistes étant assez rares à cette époque mon père m’a conseillé de garder le piano pour mon plaisir.

Marie-Claire Jamet, Sylvain Blassel
Marie-Claire Jamet, Sylvain Blassel

Mais bien sûr, j’ai eu des expériences inoubliables grâce à la harpe. Je me rappelle la première fois que j’ai joué au Japon. Mon mari, Christian Lardé et moi avions été engagés pour donner le Concerto pour flûte et harpe de Mozart trois fois dans une salle de concert qui pouvait contenir quatre mille personnes. C’était plein chaque soir ! Douze mille personnes sont venues écouter le Concerto de Mozart ! A cette époque, la harpe était un instrument nouveau là-bas, et les Japonais voulaient apprendre. J’ai trouvé cet intérêt qu’ils avaient pour la harpe très émouvant. Et j’ai aussi eu tellement de collègues formidables : mon mari, et les partenaires de mon quintette, d’autres encore en musique de chambre, des chefs d’orchestre, des compositeurs. Je tiens aussi à dire que mon modèle fut Pierre Boulez aussi bien comme compositeur, chef d’orchestre que pédagogue, ce fût un grand homme et un grand ami. Tant de beaux moments et de belles personnes. »

Interview Marie-Claire Jamet, 48e Festival de Gargilesse

Marie-Claire Jamet à Gargillesse

Marie-Claire Jamet à Gargillesse

Marie-Claire Jamet

 

Après avoir obtenu le 1er Prix de harpe et le 1er Prix de musique de chambre au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, Marie-Claire Jamet a été harpe solo de l’Orchestre National de Radio France, puis soliste de l’Ensemble Inter-Contemporain dirigé par Pierre Boulez. Elle se consacre maintenant à son activité de soliste.
Marie-Claire Jamet a donné plus de de 2000 concerts aux Etats-Unis, en Europe, au Japon, aux indes, en Russie, au Canada, en Australie, etc...
Elle a créé de nombreuses oeuvres pour harpe et orchestre, flûte et harpe, harpe seule : Banquart, Boulez, Damase, Françaix, Ishi, Lesur, Ton-That Tiët, Taïra etc... et a joué sous la direction des plus grands chefs d’orchestre tels que Munch, Bernstein, Célibidache, Ozawa et Pierre Boulez avec qui elle a interprété les " Danses " de Claude Debussy notamment au Festival de Salzbourg et à la Scala de Milan.

De 1981 à 1995 elle fut professeur au C.N.S.M. de Lyon puis au C.N.S.M. de Paris ainsi qu’à l’Ecole Normale de Musique de Paris.

Son importante discographie a été primée de nombreuses fois.


Quintette Marie-Claire Jamet : Introduction et Allegro de Ravel,
Archives INA : 16/06/1963
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http://boutique.ina.fr//video/art-et-culture/musique/I07086729/quintette-marie-claire-jamet-introduction-et-allegro-pour-harpe.fr.html

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Boulez, Répons : Harp Marie-Claire Jamet

Harp : Marie-Claire Jamet

Harp Marie-Claire Jamet

A conversation with Marie-Claire Jamet

Marie-Claire Jamet
Marie-Claire Jamet is not only an exceptional artist in her own right, but also part of one of the most important bloodlines in harp history. Her father, Pierre Jamet (1893 – 1991), began as a student of the chromatic harp developed by Pleyel & Wolff in Paris in the late nineteenth century. Pleyel commissioned Debussy’s Dances in order to show off this instrument, and it attracted enough attention for a class to be opened for it at the Paris Conservatoire. Pleyel were also looking for young harpists to promote the instrument, and they sponsored Pierre Jamet’s tuition, books and music for a time. In 1905, however, Alphonse Hasselmans heard Pierre Jamet perform at the Paris Conservatoire exams. Impressed, he urged him to switch from the chromatic harp, which he perceived would soon be obsolete. Jamet then joined Hasselmans’ double-action (Erard) harp class. Hasselmans’ class also makes for an impressive roll-call, including: Renié, Grandjany, Salzedo, Tournier, Laskine and Jamet himself. As well as being Jamet’s daughter, Marie-Claire Jamet was also Tournier’s last student.

Because these famous students of Hasselmans were committed and energetic teachers, they were not only significantly responsible for the exceptional development of the harp in twentieth-century France, but for its widespread renown elsewhere. Pierre Jamet, for example, founded the world-famous summer academy in Gargilesse, now in its forty-seventh year, and called the Académie Internationale de Harpe Pierre Jamet. He created the French harp association, and at the first Israel competition in 1959, he gave a lecture urging harpists to form an international society. This sparked the Dutch Harp Weeks instigated by Phia Berghout, the American Harp Society, and by descendancy, the World Harp Congress.

The “Hasselmans generation” of French harpists has profoundly influenced how we play the concert harp today, in all sorts of ways. “I think the fact that my father was a teacher, a chamber musician, and also played at the Paris Opera gave him a more open spirit than if he had been a soloist exclusively”, Marie-Claire Jamet reflects. “All his pupils have pursued similar careers – including me!”. Marie-Claire’s career includes being Principal Harp with the Orchestre de Radio France; a member of Boulez’s l’Ensemble Intercontemporain for fifteen years, professor at both the Lyon and Paris Conservatoires; and she has given over two thousand concerts all over the world. She consciously continues her father’s legacy not only in the manner of her professional direction, but in the musical details she transmits. “My father had a lot of information about some of our core repertoire that he learnt from the composers themselves”, she explains. “It’s important that they should not be forgotten. For example, the second movement of the Debussy trio sonata is printed “tempo di minuetto”. But in fact Debussy wanted a “menuet grave et lent”, a slow and serious minuet. This is what he told my father, but these changes are not printed, and it changes everything once you know about them. Or in the finale of the same sonata, at the beginning, Debussy imagined a man playing a tambourine. So my father invented a technique to give a percussive effect there. As for the eternal debate about how to play the opening chords in the Debussy Dances, Debussy didn’t want them straight, nor rolled, but something somewhere in the middle – that for some reason can be very difficult to grasp. My father sometimes worked with students for over an hour before they got it!

It’s essential for a musician to respect the text. It’s the basis. If you don’t respect the text, you may as well not bother. As much as we can, we have a duty as musicians to preserve the composers’ opinions, and use history to inform the present.”

Equally, respecting the text isn’t the same as trying to clone something. I remember well, as all musicians do, the moment in my career where I had the worst nerves of all. It wasn’t a competition, nor was it an audition. It was playing, one-on-one, for Luciano Berio. What happened was that while I was with L’Ensemble Intercontemporain, we did a programme featuring the Sequenza, which coincidentally I had never played. At first, Berio insisted that Francis Pierre, who had given the world premiere, should play it. But Boulez said, the concert consisted of soloists from his ensemble, and Berio should at least give me a chance. OK, said Berio – but I want to hear her do it first.

I couldn’t do it like Francis Pierre. My sound is different, and my nails are different – he has very strong nails, which he’d used to particular effect in the premiere. I knew I hadn’t a hope of doing what he’d done, so there was nothing for it but to present my own interpretation. The nerves! I was absolutely terrified.

At the end, Berio said “But it’s very good!”. “But”, I stammered in my turn, “it’s not at all how Francis Pierre did it.” “That doesn’t matter!”, he said. “His interpretation is wonderful, and so is yours!”. Performers are recreative. You have to respect the text, and put your own stamp on it.

Teaching is the same. I couldn’t say I had a particular style of teaching, because every student is different. Actually, this is something that is better catered for in music education today. When I started out, the exams at conservatoires were essentially much easier. You played for ten minutes, and that was all. But, if you made a mistake, you were thrown out immediately. Now, students give a final recital of at least forty-five minutes. It is more demanding, but it also easier to judge the student fairly. If they go wrong in one piece, they have a chance to redeem themselves through the other pieces. They can also choose music that shows off their individual strengths. I think it’s a much better system.

When I received my Premier Prix in harp at the CNSM, when I was fourteen, I wanted to go back to the piano, and join Jean Doyen’s class. However, he explained to me that I would have to give up the harp for several years. Harpists being quite rare at that time, my father advised me to keep the piano for fun.

Marie-Claire Jamet, Sylvain Blassel
Marie-Claire Jamet, Sylvain Blassel

But of course, I’ve had unforgettable experiences with the harp. I remember the first time I played in Japan. My husband – Christian Lardé – and I were booked to play the Mozart flute and harp concerto three times, in a hall that held four thousand people. It was full every night! Twelve thousand people came to hear the Mozart concerto! At the time the harp was quite new there, and the Japanese wanted to learn. I found that so moving, this interest that they had. And I have had so many wonderful colleagues – my husband, in my quintet, other chamber music partners, conductors, composers. I particularly admire Pierre Boulez, who was an equally excellent composer, conductor and teacher. He was a great man and a great friend. There have been so many beautiful moments and friends.”

 

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